Ceux-dont-on-ne-devrait-pas-dire-le-nom
- René Goyette
- 4 oct.
- 6 min de lecture

On ne peut nier qu’une partie des meurtres et des tueries de masse a été motivée par le côté hautement médiatisé de ces actes dramatiques. Et si on remplaçait les noms et les visages des individus, des groupes coupables par un numéro et une photo brouillée, ceux qui tuent pour devenir des vedettes ou des martyrs n’auraient plus de mobile.

Une tuerie de masse est généralement définie comme un type d’homicide multiple au cours duquel un individu tue (ou avait l’intention de tuer) quatre personnes ou plus en moins de 24 h dans un même lieu, généralement public tel qu’une école, un milieu de travail, un centre commercial ou un lieu de culte.
Une visée claire

Sans prendre pour cible des personnes en particulier, l’auteur d’une tuerie de masse vise tout de même parfois une catégorie d’individus, tels qu’un groupe ethnique, national ou religieux, des personnes appartenant à un genre en particulier ou encore les étudiants et étudiantes d’une même école.
Dans 96 % des cas répertoriés à travers le monde, l’auteur des tueries de masse est un homme. Son âge moyen est de 26 ans, mais il est de 16 ans dans les cas de tuerie commise en milieu scolaire.1
À la recherche de notoriété, l’auteur d’une tuerie de masse laisse la plupart du temps derrière lui un véritable plan de communication à l’intention des médias, et ce, dans l’optique d’influencer la manière dont la nouvelle rapportant son crime sera construite. Pour ce faire, il prépare des écrits dans lesquels il tente d’insérer son acte dans un plan rationnel, en décrivant son projet comme un geste ou une mission à inscrire dans une idéologie ou un mouvement.

Contagion
En ce qui concerne les tueries de masse, deux études récentes démontrent qu’aux États-Unis, lorsqu’un tel évènement survient, la probabilité qu’un crime similaire se reproduise dans les deux semaines suivantes augmente.
La contagion ne se limite pas à la simple reproduction : par exemple, il est documenté qu’une tuerie en milieu scolaire peut entraîner une hausse marquée, quoique de durée limitée, de comportements violents dans d’autres écoles. 1
Imitation
Il est possible de parler d’imitation (de copycat ou de mimétisme) lorsqu’il y a reproduction en tout ou en partie d’un phénomène social, indépendamment de la période de temps qui s’est écoulée entre l’évènement déclencheur et l’imitation.

Dans le cas d’une tuerie de masse, cela signifie qu’une tuerie pourrait avoir été influencée par les démarches préparatoires d’une tuerie survenue il y a des mois, voire des années. Il s’agit alors d’une forme de glorification de l’acte passé et de son auteur. Le tueur semble ici donner une approbation à une tuerie dont il approuve les motivations.
Expression d’une violence misogyne
De toutes les tueries de masse commises à l’échelle de la planète, 96 % d’entre elles sont perpétrées par des hommes. Au Canada, deux de ces massacres ont horrifié la population :

Montréal
Le 6 décembre 1989 à l'École polytechnique de Montréal, au Québec (Canada). U-39456, âgé de 25 ans, ouvre le feu sur vingt-huit personnes, tuant quatorze femmes et blessant quatorze autres personnes (onze femmes et trois hommes), avant de se suicider.[…] Il s'agit d'une tuerie à caractère politique, puisque le tueur a déclaré à la fois à voix haute ainsi que dans les lettres retrouvées sur lui qu'il souhaitait tuer des féministes.2

Nouvelle-Écosse
Le 22 avril 2020, en pleine pandémie de COVID-19, le Canada a connu la pire tuerie de masse de son histoire moderne quand un homme a tué 22 personnes en Nouvelle-Écosse, dans la communauté rurale de Portapique. Parmi ces 22 victimes, on dénombre 13 femmes (dont une femme enceinte et une fille de 17 ans) et 9 hommes.3
Armes à feu et tueries
Les liens entre les tueries de masse et l’accès à des armes à feu sont indéniables. Les taux de meurtres en contexte de violence conjugale augmentent de manière importante avec la présence d’une arme à feu au domicile. Aux États-Unis, où la vente d’armes à feu est peu réglementée, le taux d’homicide causé par une arme à feu y est 25 fois plus élevé par rapport aux pays ayant une population comparable.

26 oct. 2023
Lewiston, dans le Maine, où une des fusillades les plus meurtrières de l’histoire de l’État a coûté la vie à au moins 18 personnes en plus d’en blesser 13 autres.

5 février 2025
Suède : dix morts dans une tuerie de masse dans un centre de formation, la pire de l’histoire du pays
Un profil type ?
Les tueurs ont-ils des caractéristiques communes liées à leurs origines ? Quelles sont leurs motivations ? Les études compilées par le journal Le Monde4 montrent bien des traits communs:
1. Ce sont à plus de 95 % des hommes
2. Ce sont des suprémacistes blancs
Cette idéologie est à l’origine de 17 tueries ayant causé 105 morts depuis 2012 aux États-Unis.
3. Ce sont des malades mentaux
Donald Trump dit que les tueurs d’El Paso et de Dayton étaient « des gens très, très malades mentalement ». Mais les études portant sur les profils des tueurs de masse indiquent que les maladies mentales ne sont pas un trait si partagé.

4. Un désir fréquent de notoriété et de revanche
Les tueurs de masse présentent souvent le profil de gens marginalisés, en rupture avec le groupe. Une partie d’entre eux ont ainsi déjà subi des humiliations ou intimidations à répétition dans leur jeunesse, dans le milieu scolaire ou familial.
« Il y a pratiquement toujours un grief personnel qui orientera une personne vers des meurtres de masse », affirmait, en 2015, le docteur J. Reid Meloy, un psychologue médico-légal, au New York Times.
5. Un effet de contagion avéré
La plupart des tueurs étudient les modus operandi d’autres tueurs avant de passer eux-mêmes à l’action et cherchent régulièrement à justifier leurs actes, par la diffusion d’un manifeste, qui fait souvent référence aux actions d’autres tueurs de masse, dont les idées seront largement médiatisées.
Pourquoi on-ne-devrait-pas-dire-leur-nom
Si, après une tuerie de masse, le nom, le visage et la propagande du criminel n’étaient pas révélés et qu’on donnait un code numérique au coupable, il n’y aurait pas de notoriété et de tapages médiatiques mettant en « vedette » l’assassin.

On s’entend que la non-publication des détails sur le responsable des crimes serait un frein pour celui dont la décision de passer à l’acte avait pour motivation d’obtenir la célébrité certaine après sa mort. Il perdrait également le moyen d’étaler son idéologie déviante sur la place publique.
L’exemple et la surenchère

En plus de servir les desseins du tueur, la médiatisation des faits inspire les potentiels meurtriers à faire autant ou, pour se démarquer, de faire pire encore. Dans l’assassinat récent d’un influenceur de droite aux États-Unis, le tueur avait écrit des mots menaçants sur les cartouches retrouver au sol. On peut deviner qu’on retrouvera maintenant l’utilisation de ces inscriptions dans de futurs homicides. Comme si, grâce à la diffusion de ces détails, les tueurs donnaient des trucs aux autres.

La contamination d’un nom
La publication du nom du criminel a aussi l’effet pervers de contaminer tous ceux qui, autour, partagent ce patronyme. Les familles et parents proches sont, pour le reste de leur vie, ostracisés par ce que rappelle leur nom et leurs relations passées avec le criminel.

La fameuse exception
Évidemment, on ne peut pas toujours cacher le nom et le visage du tueur. Par exemple, dans le cas où le criminel est en fuite, on doit l’identifier afin de le retrouver. Mais, après qu’on l’a attrapé, on pourrait quand même interdire la documentation subversive qu’a laissée l’accusé derrière lui.
Épilogue
Il est facile de conclure qu’une première mesure visant à réduire l’incidence de ces crimes serait une restriction sévère de la possession d’armes à feu (en commençant par les armes d’assaut). Une deuxième mesure consisterait à interdire la publication des identités, photos et revendications des assassins politiques et des tueurs de masse.
Mais la plus difficile mesure à instaurer serait de porter une plus grande attention aux gens en difficulté, de ceux qui, par dépit, croient que tuer est la seule voie pour leur voix.
Merci aussi à ceux qui n’ont pas lu.
Références
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